Elever

Les Sphingidae s’élèvent relativement bien en captivité. Ces élevages s’effectuent dans de grandes cages à grillage fin, style garde-manger.

La recherche des oeufs

On peut rechercher les œufs dans la nature, mais c’est particulièrement difficile. Toutefois, avec un peu d’habitude, on se met à penser comme la femelle de Sphingidae qui va pondre, et on repère vite la plante sur laquelle elle déposera ses œufs. Il faut savoir qu’en principe, une femelle pondra plus facilement sur un petit arbuste isolé que sur l’arbre adulte noyé dans une forêt de ses congénères. Les petits arbustes, les plantes de lisière de forêt et de bord de route sont toujours très productives. Quand on sait cela, reste à trouver les œufs. Ils sont généralement pondus isolément sous les feuilles, le plus souvent à l’extrémité des rameaux donc sous des jeunes feuilles terminales. L’œuf est sphérique, et, dans la plupart des cas, vert. Trouver des œufs de Deilephila elpenor, ou d’Hemaris tityus est assez facile, alors que localiser leur chenille est un tout autre problème.

Hemaris fuciformis oeuf Alaric 11 France         Deilephila elpenor oeuf Laplume 47 France        Sphinx maurorum oeufs Tournon d'Agenais 47 France

Oeufs de Sphingidae: de gauche à droite, Hemaris fuciformis, Deilephila elpenor, Sphinx maurorum (attention, les clichés ne sont pas à la même échelle) © J. Haxaire

La recherche des chenilles

C’est un peu plus facile. Rechercher des chenilles nécessite toutefois un minimum de connaissances en botanique. Pour les 24 espèces de Sphingidae de la faune de France, cela sera relativement simple, la connaissance d’une cinquantaine de plantes sera largement suffisante. L’achat d’une bonne faune de France est la solution la plus confortable, mais aussi la plus onéreuse. Pour ma part, j’utilise la Grande Flore en couleur de Gaston Bonnier. Cet ouvrage remarquable en 5 volumes est le complément indispensable de l’entomologiste de terrain. On la trouve d’occasion assez facilement autour de 300/400€. Pour emmener sur le terrain, on se contentera d’un petit guide (il en existe des dizaines) car bien entendu on ne promène pas 14 kilo de livres lorsque l’on est en prospection.

Le repérage de la bonne plante, celle qui va « donner », est question d’expérience et d’habitude. Assez vite, on sait repérer les plantes intéressantes, celles qui sont attaquées, sur laquelle la femelle a le plus de chance de pondre. En s’approchant, on regardera toujours au sol. Les crottes laissées par des chenilles de Sphinx sont hautement reconnaissables.

Exactement comme pour les œufs, trouver trop de plantes-hôte ne signifie pas souvent trouver beaucoup de chenilles. La petite plante isolée, sur un talus bien ensoleillé, le long d’un chemin ou d’une route est souvent bien plus productive qu’un hectare de la même plante dans un splendide biotope parfaitement naturel. Les femelles suivent les axes de circulation, les chemins le long desquels elles pourront butiner. Elles pondent souvent du coté ensoleillé, sous les feuilles terminales des branches les plus dégagées et isolées de l’arbre/du buisson. On recherchera les perches dénudées de leur feuilles, signe de chenilles adultes. Il arrive dans ces cas là que l’on arrive trop tard, les chenilles sont déjà parties se nymphoser au pied de la plante, mais le plus souvent loin de là. Cela arrive très souvent.

     Hyles vespertilio habitat l'Alpes d'Huez 38 France          Proserpinus_proserpina_Epilobium_angustifolium_planteHote

La situation parfaite: pieds d’Epilobium dodonai et E. angustifolium sur sol dénudé ou caillouteux, et exposé plein sud. Dans le biotope de gauche, ont été trouvées les chenilles d’Hyles vespertilio et Proserpinus proserpina, sur le pied de droite, des œufs et chenilles de Deilephila elpenor. © J. Haxaire

Les chenille récoltées sont placées dans des récipients aérés, surtout pas des boites plastiques où se produirait une trop forte condensation. J’utilise de grands bocaux dont le couvercle a été découpé et grillagé. Toujours placer du papier absorbant au fond des bocaux de chasse, et bien entendu ne jamais laisser ces bocaux au soleil.

L’élevage

Les plantes seront placées fraîchement coupées dans l’eau. Attention aux noyades, les chenilles aiment bien descendre le long des tiges, et si elles peuvent atteindre l’eau, elles s’y noieront à coup sûr. Il faut donc obstruer l’ouverture des récipient avec du papier ou du coton.

Normalement, la chenille mise en élevage s’immobilise rapidement sur sa nourriture et commence à s’alimenter. Si elle ne mange pas, c’est soit que la plante ne convient pas, soit que la chenille est en période de mue, et enfin la dernière possibilité est qu’elle va se chrysalider et donc qu’elle est en quête du lieu favorable à sa nymphose. Dans ce cas là, elle cherche presque toujours à s’enterrer. Il est  fréquent qu’une chenille se Sphingidae change totalement de coloration avant sa nymphose, virant du vert tendre au vert sombre,  au beige-grisâtre voir brun-violacé.

Macroglossum_stellatarum_L5_LeRoc    Macroglossum_stellatarum_L5_LeRoc_Prénymphose_a   Macroglossum_stellatarum_chrysalide_Laplume

Macroglossum_stellatarum_Pupa_LeRoc    Macroglossum_stellatarum_AbOvo1_Laplume    Macroglossum_stellatarum_AbOvo2_Laplume

 

Exemple d’élevage simple à partir d’une chenille trouvée adulte. Chenille L5 de Macroglossum stellatarum sur Galium mollugo  et la même quelques jours plus tard en prénymphose cherchant à s’enterrer.  Chrysalide  de la même espèce, juste formée et quelques jours avant émergence. Imago séchant ses ailes, et imago prêt à prendre son vol. © J. Haxaire

Les erreurs habituelles du novice sont presque toujours les mêmes :

-cage trop petite et peu aérée

-trop de chenilles dans un petit espace

-cage à l’ombre, voir à l’obscurité

-plante-hôte changée trop rarement

-cage sale (les excréments s’accumulent et moisissent)

-récipient d’eau non hermétique (les chenilles descendent le long des branches et se noient alors très facilement !)

            cage élevage Hyles nicaea    Elevage Hyles vespertilio (bis) sur Epilobium tetragonum à Laplume (47)

Elevage en cage style « garde-manger » d’Hyles nicaea (gauche) et Hyles vespertilio (droite) © Jean Haxaire

Un élevage de papillon n’est pas chose facile. Lorsqu’une maladie apparaît, on perd généralement l’intégralité des chenilles, et s’il y a des survivantes, elles produiront des chrysalides petites et/ou mal formées desquelles émergeront des papillons chétifs (s’ils éclosent).

Réussir un bel élevage, avec des imagos aussi beaux que ceux que l’on collecte dans la nature est une prouesse qui nécessite de la patience et beaucoup de soin.

A cela, il faut ajouter que chaque espèce à ses exigences et que certaines espèces sont nettement plus capricieuses.

Parmi les espèces délicates, signalons Marumba quercus. Cette espèce doit être élevée dans de très grandes cages très aérées, et en atmosphère sèche. L’idéal est probablement l’élevage sur arbre en pot et en plein air. En effet une chenille sur sa plante ne la quitte pratiquement jamais sauf au moment de la nymphose. L’élevage sur arbre règle tous les problèmes liés aux changements quotidiens de plante, et la nourriture est toujours de première qualité.

Pour corser le problème, la chrysalide de Marumba quercus ne supporte pas les manipulations et se déshydrate souvent pendant l’hiver. La solution la plus simple semble être de ne pas la déterrer pendant la diapause hivernale. Le papillon sortira de lui même de juin à juillet.

Les Hemaris sont aussi un peu capricieux, surtout fuciformis qui nécessite de la chaleur et de la lumière.

En fait, il conviendra de mémoriser les conditions de vie de l’insecte dans la nature et de tenter de les lui reproduire en captivité. C’est donc avant tout une affaire de bon sens.

Il est heureusement des espèces qu’il est difficile de rater, même à partir de l’œuf. La palme revient je pense à deux Smerinthinae , Mimas tiliae et Laothoe populi. Je crois que même dans les pires conditions d’hygiène qui anéantiraient en une journée un élevage de Marumba quercus, on peut réussir un élevage de Sphinx du peuplier. Toutefois, si l’on veut de beaux spécimens, il est impératif d’être avec cette espèce aussi rigoureux qu’avec les plus délicates.

Obtenir des œufs à partir d’une femelle

Le plus simple est souvent de faire pondre une femelle. Il faudra alors distinguer les espèces qui pondent pratiquement spontanément en captivité, et celles qu’il faut nourrir. Les quatre Smerinthinae français appartiennent à la première catégorie, et obtenir leurs œufs est un jeu d’enfant. Pour accélérer la ponte, on peut ajouter une feuille ou un rameau de la plante nourricière. Par contre, les autres espèces devront souvent être alimentées pendant plusieurs jours avant qu’elles ne se décident à déposer leurs œufs.

           Alimentation imago femelle Hyles dahlii 1 Espagne Minorque   papillon lépidoptère lepidoptera sphingidae sphinx sphinginae

Alimentation manuelle d’une femelle d’Hyles dahlii (gauche) et Acherontia atropos (droite) © Jean Haxaire

Il est facile de les nourrir à la main, en déroulant la trompe de la femelle et en la plongeant dans un liquide fortement sucré. L’insecte est tout simplement tenu entre deux doigts, les ailes repliées sur le dos. J’utilise pour ma part un mélange d’eau, de sirop de canne et de miel. Dès le contact avec le liquide, l’insecte commence à s’alimenter. S’il ne pond pas la première nuit, il devrait le faire rapidement.

Les œufs sont conservés dans des boîtes de pétri avec un fond en papier absorbant. Il est souvent utile de les vaporiser d’eau pure tous les 2 jours. Attention à l’humidité excessive qui compromet fortement les éclosions. Dès éclosion, les chenilles doivent pouvoir s’alimenter. Si elle jeûnent une journée, l’élevage est souvent définitivement compromis. Quand on est suffisamment aguerri, on reconnait l’œuf qui va éclore, et on le dispose alors à l’avance sur la plante hôte. La chenille consomme très souvent le chorion de l’œuf, et ce premier repas est important. Il ne faut pas l’en priver.

La chenille de Marumba quercus ne s’alimente pas au premier stade. Elle mange son chorion, et s’immobilise rapidement pour muer. Elle ne doit pas être dérangée.

La jeune chenille fraîchement éclose est très fragile. Elle sera déposée sur la plante hôte avec beaucoup de précaution. De façon traditionnelle, on les déplace avec un petit pinceau, et bien entendu ni avec les doigts ni avec une pince.

Durant les deux premiers stades (jusqu’à la seconde mue) il est conseillé de les élever dans des petits volumes, et elles supportent le bocal en verre non fermé hermétiquement et à l’abri d’un soleil direct qui les tuerait rapidement. Dès le début du troisième stade, il est impératif de les placer en cage ventilée (voir ci-dessus). Une chenille au premier stade de Proserpinus proserpina ou Deilephila porcellus est tellement petite qu’on est obligé de les avoir sur très peu de nourriture et dans un petit espace sous peine de ne pas les retrouver.

Je recommande d’apprendre à reconnaître une chenille qui va muer. C’est très facile, sa tête semble « décollée » de son corps, et on distingue déjà la nouvelle capsule céphalique juste en arrière. Durant cette période, il est important de ne pas manipuler la chenille, et de ne pas chercher à la décrocher de sa branche. De toute façon, il est toujours préférable de ne pas manipuler une chenille, on la laissera passer d’elle même sur  la nourriture fraîche.

Hyles hippophaes chenille L3 Ukraine    Laothoe_populi_L3_Le Roc_groupe

A gauche, cette chenille L3 d’Hyles hippophaes est immobilisée pour passer en L4. A droite, test: sauriez vous reconnaître dans ce groupe de chenilles L3 de Laothoe populi celles qui vont muer? Si oui, vous êtes prêt pour réussir un élevage. © Jean Haxaire

Au moment de la nymphose et donc en fin de cinquième stade, la chenille arrête de s’alimenter, s’immobilise et souvent change de couleur. Elle parcourt alors une distance qui peut être considérable, à la recherche de l’endroit qu’elle jugera idéal à la chrysalidation. Le plus souvent, elle s’enterre mais peut aussi tisser un cocon à la surface du sol. La chenille se Sphinx ligustri, par exemple, peut descendre à 20 centimètres de profondeur tandis que celle d’Hyles hippophaes reste en surface et réunit quelques débris végétaux avec de la soie pour se nymphoser dans un cocon rudimentaire. Il faut donc préparer une cage à chrysalidation avec dans le fond un mélange de terre légère et de sable (au moins 15 centimètres), et en surface des fragments de mousse, des feuilles mortes et divers débris.

Il ne faut jamais placer trop de chenilles dans le bac ainsi conçu, sous peine de voir les dernières déranger celles qui commencent à se nymphoser, ou qui élaborent leur loge. Bien entendu il ne faut jamais toucher une chrysalide fraîchement formée.

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Chrysalides (4 espèces) de Sphingidae sur substrat de type tourbe+terre calcaire+sphaigne fraîche prêtes à l’hybernation © Jean Haxaire

Les chrysalides passeront l’hiver dehors, la diapause est indispensable et de plus, si l’on souhaite relâcher les adultes ou poursuivre l’élevage en accouplant ses femelles avec des mâles sauvages, il est important d’être synchrone avec le cycle biologique. Il faudra penser, de temps en temps, à vaporiser un peu d’eau sur les chrysalides/les cocons afin d’éviter le dessèchement. Il faut aussi savoir que le pire ennemi des chrysalides en hiver est le rongeur (mulot, campagnol, souris) ou les musaraignes, qui peuvent anéantir une centaine de chrysalides en une nuit, réduisant à néant des dizaines d’heures de travail.

Attention, l’erreur classique est de ne pas anticiper les éclosions. Lorsqu’un papillon éclos, il doit de suite pouvoir grimper et se suspendre ailes vers le bas pour pouvoir les développer. S’il est dans un vivarium avec paroi en verre, c’est l’échec assuré, il n’arrivera pas à grimper, glissera le long des parois et sera difforme. Il est donc impératif de placer les chrysalides dans des cages à parois rugueuses (grillage fin, bois non raboté…) pour que l’émergence soit une réussite.

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Hyles euphorbiae juste après émergence, et le même avec les ailes développées, mais pas encore sèches. Il les placera à plat dès qu’il sera prêt à prendre son vol. © Jean Haxaire

En résumé, élever des chenilles de Sphinx est, comme tout élevage, un véritable travail qui ne souffre pas l’à peu près ou l’amateurisme, mais quel bonheur quand on voir éclore chez soi un splendide elpenor après en avoir ramassé la chenille dans un fossé sur Epilobium hirsutum!