Hyles euphorbiae euphorbiae (Linnaeus, 1758)
Sphinx euphorbiae Linnaeus, 1758, Syst. Nat. (Edn 10) 1: 492.
Localité type: non spécifiée [Europe].
Le Sphinx de l’euphorbe
anglais: Spurge Hawkmoth; allemand: Wolfsmilchschwärmer; castillan: esfinge de la lechetrezna; italien: sfinge dell’euforbia
Taxinomie
Il n’y a que des problèmes taxinomiques avec cette espèce et ce sur toute son aire de répartition. Il n’y a qu’à consulter la liste des synonymes pour comprendre l’ampleur du problème. L’émergence du barcoding m’avait donné l’espoir que enfin, nous aurions l’outil qui nous permettrait de séparer les entités là où la morphologie ou l’étude des stades larvaires avaient échoué. Comme souvent hélas, les problèmes se cumulent. La morphologie ne donne rien, les stades larvaires sont d’une telle variabilité que chaque population pourrait presque bénéficier du statut de bonne sous-espèce, et les arbres obtenus par barcoding sont globalement illisibles. Les contacts avec l’espèce H. tithymali (Boisduval, 1834) n’arrangent pas le problème, puisqu’en chaque point de rencontre l’hybridation semble être la règle (raison pour laquelle tithymali était autrefois considéré comme sous-espèce d’euphorbiae). Ainsi, sur les côtes de la Galice, sur l’îles de Malte et Crète, on trouve des populations respectivement nommées gallaeci, Gil-T., Requejo & Estévez (2011), sammuti, Eitschberger, Danner & Surholt, 1998, cretica, Eitschberger, Danner & Surholt, 1998. L’analyse génétique révèle que l’insecte de Galice (en fait de tout le littoral atlantique de l’Espagne et du Portugal) est « pratiquement » un H. euphorbiae (il a été décrit en sous-espèce de tithymali), ce qui est parfaitement claire sur son habitus, et que les deux populations insulaires sont des populations hybrides entre les tithymali africains et euphorbiae (elles ont été décrites comme bonne espèce). Aucun de ces trois noms ne seraient valides.
Mon opinion est que nous sommes ici en présence de populations isolées depuis peu de temps, et en phase de spéciation (pro-species). H. dahlii, tithymali et euphorbiae ne sont pas encore isolés génétiquement, les flux géniques sont toujours possibles dans les nouvelles zones de contact, et on pourrait fort bien assister dans le futur à la disparition pure et simple de certains taxons considérés comme bonne espèce par introgression génique de l’espèce dominante euphorbiae. C’est probablement ce phénomène que l’on observe aux îles Baléares, où les supposés dahlii présentent nettement une très forte part d’euphorbiae dans leur génome. Seul le parfait isolement pourra maintenir ces insectes dans leur processus actuel de spéciation post-glaciaire.
Distribution
Monde: de l’Europe de l’ouest aux Tian Shan, et Mongolie. Atteint la Chine (province du Xinjiang). Absent des pays du Maghreb, remplacé par H. tithymali.
L’insecte a été introduit en Amérique du nord afin de réguler les population d’Euphorbes qui nuisent à l’élevage dans les zones agraires. Cette régulation n’a pas été un grand succès, mais l’insecte s’est bien adapté à certains biotopes où il est devenu très commun, comme le Montana, l’Ontario et le Québec.
En Israël, Jordanie, Turquie et nord de l’Iran, il est remplacé par la sous espèce H. euphorbiae conspicua (Rothschild & Jordan, 1903). La validité de cette sous-espèce est hautement douteuse. Si en Turquie, il existe en effet des populations constituées d’individus nettement plus grands que la moyenne, j’ai collecté en Iran des supposés conspicua impossible à séparer des euphorbiae de France.
France: voir ci-dessous
Plantes-hôtes
La majorité des espèces d’euphorbes, et en France, surtout Euphorbia characias, E. paralias, E. cyparissias et E. serrata. L’insecte est aussi donné de Rumex, Polygonum, Vitis, Mercurialis et Epilobium (Pittaway).
C’est notre Hyles le plus répandu et celui dont on trouve la chenille le plus facilement. Toutefois, la mention « partout en France » que l’on trouve dans la majorité des traités d’entomologie est à prendre avec des pincettes. Je ne me l’explique absolument pas, mais cet insecte est totalement absent sur d’immenses surfaces de notre pays. Par exemple, je ne l’ai vu qu’à une seule reprise dans le Lot-et-Garonne (un mâle collecté aux U.V. à « Le Roc » Laplume) alors que sa plante hôte de prédilection (Euphorbiae cyparissias) y est si bien implantée. Son absence en certaines zones est d’autant plus facile à affirmer qu’il ne passe pas inaperçu. Sa chenille est tellement évidente qu’on la repère sur les bas-côtés en roulant en voiture, lorsqu’elle dévore les euphorbes des bords de route.
Hyles euphorbiae vole du début mai à la fin août en deux générations. L’insecte vient très bien à la lumière dès la tombée de la nuit. Il est d’une extrême variabilité et la nomenclature regorge de noms de formes individuelles sans le moindre intérêt. Ces noms n’étant pas validés par le code de nomenclature zoologique, ils sont de toute façon caducs le jour de leur publication, ce qui ne semble pas décourager les descripteurs. L’une des formes les plus spectaculaires est celle où la zone médiane claire des ailes antérieures est entièrement rose. J’ai aussi vu un exemplaire sur lequel cette zone a presque totalement disparu, envahie par les bandes anté et postmédianes brun sombre.
La variabilité touche aussi la taille des spécimens, dont certains atteignent la taille des nicaea les plus modestes, d’où hésitation les soirs de chasse. En effet, la nuit devant le drap de chasse et sous les lampes U.V., il n’est pas toujours aisé de distinguer les deux espèces, même pour l’amateur averti.
Ce Sphingidae est distribué sur tout le littoral atlantique, sa chenille consommant alors Euphorbia paralias. Dans les dunes de Berck/Mer (62), j’en trouvait chaque année de grandes quantités, certaines allant même s’aventurer jusqu’à la mer à la recherche de leur plante hôte. Fait curieux, dans cette région je ne l’ai jamais attiré aux lampes U.V., alors que visiblement son implantation était forte. Sur le reste de notre territoire, il est surtout inféodé aux biotopes chauds sur terrain calcaire (causses blanche ou noire) de la moitié sud, consommant de préférence Euphorbiae cyparissias et Euphorbia characias. Sa chenille est l’une des plus belles de la faune de France, particulièrement variable en coloration (encore plus que l’imago). Il est fréquent d’en observer des quantités considérables, si l’on est au bon moment au bon endroit, ce qui est bien souvent le long d’une route ou d’un chemin. Comme souvent, les papillons empruntent les axes de communications, et pondent le long de ces axes.
J’ai élevé d’Ardèche une souche produisant des chenilles presque entièrement noires ponctuées de blanc. Mr Igor Rawics m’a communiqué le cliché d’une forme rouge écarlate photographiée à St Raphaël (83530). Cette forme est non seulement d’un rouge totalement unique, mais en plus les plages noires latérales ne sont pas ponctuées de blanc. Ajoutons que les taches blanc-crème latérales sont surdimensionnées, ce qui évoquerait presque une chenille d’Hyles nicaea. A ma connaissance, personne n’avait avant lui observé une forme aussi extrême (impression confirmée par Tony Pittaway (com. pers.)
Nous tenterons de figurer dans ce site les différents motifs de coloration, totalement indescriptibles. A titre d’exemple, les bandes dorso latérales varient du jaune au rouge, avec des variantes vertes (et même blanches).
5 formes de la chenille L5 d’Hyles euphorbiae montrant une infime part de son étonnante diversité. Photos © Jean Haxaire sauf l’avant dernière (forme rouge vif) © Igor Rawics
La chrysalide est disposée au sol dans un cocon grossier, constitué de fils de soie reliant des débris divers. Elle est également variable en coloration, et on obtient parfois des formes très sombres, surtout en haute montagne sans qu’il soit ici question de généraliser. Elle peut éclore très rapidement en cas de forte chaleur.