La famille des Sphingidae

Généralités sur la famille des SPHINGIDAE (par Jean Haxaire & Ian J. Kitching 2015)

Les Sphingidae étaient autrefois placés dans la superfamille des Sphingoidea mais sont désormais considérés comme membres des Bombycoidea. Cette famille comporte un peu plus de 1400 espèces et est distribuée dans le monde entier, majoritairement en région tropicale.

L’une des caractéristiques principales de la famille est la faculté de la majorité de ses membres d’effectuer un vol stationnaire en face des fleurs qui les alimentent ce qui les fait parfois confondre avec des colibris. De plus, ce sont des voiliers puissants capables de parcourir des distances considérables, allant jusqu’à migrer d’un continent à l’autre. Les chenilles des Sphingidae, généralement glabres, sont caractérisées par la présence d’une corne située sur le 8ème segment abdominal. Cet appendice n’existe pas chez toutes les espèces, comme notre Proserpinus proserpina, où il est remplacé par un disque sclerifié.

Reconnaitre un Sphingidae est normalement chose aisée mais il y a quelques exceptions comme les atypiques Pentateucha sp., Monarda oryx, Viriclanis kingstoni, Afrosataspes galleyi et Andriasa sp. L’espèce type du genre Pentateucha, P. curiosa est souvent confondue avec une Notodontidae alors que le Viriclanis kingstoni évoque un Geometridae.

L’adulte

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Mâle d’Hemaris fuciformis butinant une fleur de Sauge des prés. Pastel réalisé par Coline Haxaire novembre 2015.

Les antennes sont fasciculées (compressées ventralement avec des soies allongées) chez le mâle et filiformes avec de très courtes soies chez la femelle. Elles sont exceptionnellement bipectinées (genre Monarda, Xenosphingia…). Cette antenne est parfois dilatée distalement avec un petit crochet apical. La trompe, généralement bien développée, peut atteindre des longueurs record chez les Lépidoptères. Ainsi, celle de l’Amphimoea walkeri dépasse-t-elle fréquemment les 25 centimètres. Toutefois elle est particulièrement réduite et même non fonctionnelle chez la majorité des Smerinthinae.

Les palpes maxillaires sont extrêmement réduits, les palpes labiaux sont saillants, plaqués contre la tête et remontant. La face interne du segment 1 des palpes labiaux peut être couverte de fins microtriches sensoriels (les ex Sphingidae Asemanophorae de Rothschild & Jordan). Le segment 2 est dilaté et fonctionne, avec la structure appelée le pilifère, comme un organe auditif non-tympanal. Un éperon permettant le nettoyage des antennes est présent sur les pattes avant. Les pattes médianes portent une paire d’éperons et les pattes arrières en portent souvent deux, plus rarement une. Les pattes médianes portent généralement une rangée de fines soies (le peigne) sur le premier segment des tarses.

La forme des ailes est une des caractéristiques de la famille. L’aile antérieure est très allongée, parfois lancéolée, surtout chez les Sphinginae et Macroglossinae. L’aile postérieure est beaucoup plus courte et plus arrondie. Certains Sphingidae échappent totalement à cette règle, comme par exemple les membres du genre Andriasa qui ressemblent à des Geometridae. La nervation des Sphingidae est caractéristique. Sur l’aile antérieure, les nervures Rs1 et Rs2 se suivent ou fusionnent et M1 débute au même niveau que Rs ou est fusionnée avec elle. Aux ailes postérieures, R1 diverge à environ mi-longueur de la cellule et rencontre Sc. CuP est absente sur les deux ailes. Les ailes antérieures et postérieures sont couplées par une soie unique et longue chez le mâle et un faisceau de soies plus courtes chez la femelle. Cette structure, nommée frenulum, s’imbrique sous un petit crochet (le reticulatum) situé le long de la costa, à la base de l’aile antérieure.

L’abdomen est robuste, fusiforme. Il n’y a pas d’organe tympanal métathoracique ou abdominal.

Stades larvaires

L’œuf est généralement lisse, vert translucide. Il ne présente ni ornementation ni sculpture. Avant l’éclosion, il peut se colorer vivement, devenir rose, rouge, brun et même noir.

La chenille est le plus souvent glabre, rarement velue. Les chenilles de Cocytius sont finement soyeuses, surtout sur leur face ventrale. Certaines chenilles présentent des scoli=cornes thoraciques et parfois même disposées en rangées sur tout le corps. La chenille de Ceratomia amyntor est fortement armée sur le thorax, d’où son nom de Four-horned Sphinx. Les chenilles d’Amphimoea walkeri  et des Coequosa sp. présentent un tégument parsemé de petites aspérités coniques . Le cas le plus spectaculaire que nous connaissions est la chenille de Lophosthetus dumolini, couverte de scoli épineuses, ce qui la ferait ressembler à une chenille de Citheronia (Saturniidae Ceratocampinae).

La chrysalide est le plus souvent fusiforme, lisse avec un cremaster fortement développé. Le fourreau de la trompe peut être libre et effectuer plusieurs tours. Toutefois certaines chrysalides sont très loin de cette règle, comme par exemple celle de Langia zenzeroides, courtes et arrondies . La chrysalide est enterrée plus ou moins profondément, mais elle est parfois en surface dans un cocon grossier élaboré avec des débris végétaux et quelques fils de soie. Dans le genre Madoryx, la chenille bâtit un cocon soyeux aérien plaqué sur le tronc de l’arbre qui l’abritait. Ce cas est exceptionnel.

Biologie

Les adultes sont crépusculaires et nocturnes, mais il existe des espèces totalement diurnes. Ces insectes ont souvent une longue durée de vie et sont de bons voiliers. Ils se nourrissent souvent pendant une longue période, pondent des œufs isolement ou disposés par petits groupes (contrairement aux Saturniidae qui pondent par « grappes »). Ces insectes butinent les fleurs en vol stationnaire, se posant exceptionnellement pour s’alimenter. Certains s’alimentent aussi sur les fruits, la sève qui exsude des arbres blessés (Deilephila), et même sur la viande en décomposition (Temnora, Antinephele…) et les excréments de mammifères (Amphion floridensis). On a vu des Sphingidae pomper la sueur ou les larmes sur des humains. Certaines espèces des genres Aellopos ou Afrosataspes se plongent intégralement dans l’eau pour en ressortir mouillées, se poser ensuite sur le sol ou un rocher pour « pomper » l’eau ainsi retenue entre leur pattes ou leurs écailles thoraciques. Les Eurypteryx sont connus pour se poser au sol sur la boue et en pomper l’humidité.

La coévolution entre des Sphingidae et certaines fleurs d’orchidées est un exemple fréquemment repris, notamment celui du Xanthopan morgani praedica et de l’orchidée malgache Angraecum sesquipedale. En 1862, Charles Darwin, en observant l’éperon démesuré de cette fleur, avait prédit qu’un sphinx possédant une trompe au moins aussi longue vivait à Madagascar. Il fut découvert et décrit en 1903, baptisé par Rothschild & Jordan « praedicta », c’est à dire « celui que l’on avait prédit ».

Les chenilles de Sphingidae peuvent être incroyablement cryptiques, parfaitement camouflées dans le feuillage (Smerinthus, Paonias, Mimas) sur les troncs (Madoryx) ou les cailloux (Hyles vespertilio). Ce sont là des chenilles parfaitement comestibles pour les oiseaux. Elles peuvent au contraire être vivement colorées (couleurs prémonitrices) comme les chenilles d’Hyles euphorbiae, Isognathus, Pseudosphinx. Là au contraire, on a affaire à des chenilles se nourrissant d’Euphorbiaceae ou d’Apocynaceae, donc fortement toxiques). Enfin, beaucoup présentent des ocelles semblables à des yeux sur le thorax, ce qui leur donne un aspect reptilien (aposémentisme). Les formes les plus abouties sont les chenilles du genre néotropical Hemeroplanes qui ressemblent à s’y méprendre à des serpents, et plus particulièrement à des crotales.

Notre sphinx à tête de mort, Acherontia atropos, présente la particularité rare d’être capable d’émettre des sons stridents. Il partage cette singularité avec les deux autres espèces du genre. L’origine de ce son a fait l’objet de beaucoup de spéculations. Il a été globalement décrypté par les remarquables études anatomiques récentes.

Classification

La famille est traditionnellement* divisée en trois sous-familles, les Smerinthinae, les Sphinginae et les Macroglossinae. Ces sous-familles sont bâties sur le partage de caractères de l’adulte, mais aussi de la chenille et chrysalide.

*Une classification phylogénétique plus récente est désormais accessible en ligne (Sphingidae Taxonomic  Inventory). Elle ne bouleverse pas significativement le traitement de nos espèces nationales. Nous l’évoquerons lors de la réactualisation de notre site.

Les Smerinthinae: Ils n’ont pas les microtriches sensoriels sur la face interne du premier segment des palpes labiaux. Leur trompe est réduite ou absente, souvent non fonctionnelle. Les chenilles ont le plus souvent la tête triangulaire et la peau granuleuse. Elles mangent souvent des plantes arbustives ou des arbres, plus rarement des plantes basses. La chrysalide n’a logiquement pas de fourreau libre pour la trompe. Ce sont des papillons au vol moins puissant que ceux des deux autres sous-familles. Leurs femelles pondent assez spontanément en captivité et sans prise de nourriture. Il y a environ 400 espèces de Smerinthinae, avec un pourcentage plus fort en Afrique. Plantes-hôtes: surtout Fabaceae, Fagaceae, Salicaceae, Ulmaceae, Betulaceae, Anacardiaceae, Rosaceae.

Remarque: le genre Sataspes, mimétique des bourdons du genre Xylocopa, est le plus atypique de la sous-famille. S’il n’y avait les caractères de la chenille (et ses plante-hôte), il serait assez difficile sans examen anatomique poussé de ne pas considérer ses membres comme autre chose que des Macroglossinae.

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Exemples de Smerinthinae: de gauche à droite et de haut en bas, Paonias macrops Gehlen, 1933, Mexique, Sonora; Clanis undulosa gigantea Rothschild, 1894, Laos, Phu Phan; Langia zenzeroides zenzeroides Moore, 1872, Corée du sud; Protambulyx goeldii* Rothschild & Jordan, 1903, Guyane Française; Adhemarius fulvescens (Closs, 1915) Guatemala, Biotopo del Quetzal . Tous les clichés © Jean Haxaire sauf * © Daniel Herbin. 

Les Sphinginae: Ce sont les Sphinx tel qu’on les imagine, avec les ailes allongées, le corps fusiforme, la position de repos en delta, le vol puissant et la trompe démesurée. Ils n’ont pas de microtriches sensoriels sur la face interne du premier segment des palpes. Ils ont des genitaliae symétriques. Leurs chenilles sont typiquement Sphingidae, le plus souvent lisses avec la corne abdominale bien développée, et sept bandes obliques qui courent latéralement du ventre vers le dos. Celles qui se nourrissent de Gymnospermes échappent totalement à cette règle et arborent des couleurs cryptiques étonnement efficaces (Sphinx dollii, Isoparce cupressi, Sphinx pinastri, morio, maurorum…). Les chrysalides ont souvent le fourreau de la trompe libre, fourreau parfois très développé. Elles s’enterrent profondément. On compte environ 300 espèces de Sphinginae dans le monde. Plantes-hôtes: surtout Oleaceae, Solanaceae, Verbenaceae, Bignoniaceae, Lamiaceae, Convolvulaceae, Pinaceae.

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Exemples de Sphinginae: de gauche à droite, Monarda oryx Druce , 1896, Mexique, Jalisco; Sagenosema elsa (Strecker, [1878]) USA, Arizona; Sphinx kalmiae J. E. Smith, 1797, Canada, Quebec. © Jean Haxaire

Les Macroglossinae: la sous famille renferme un peu plus de 600 espèces. Ses membres présentent les microtriches sensoriels ou une tache dénudée sur la face interne du premier segment des palpes labiaux. Les genitaliae du mâle sont symétriques ou asymétriques. La corne abdominale de la chenille est parfois fortement modifiée, absente, en bouton (Erinnyis), en fouet (Isognathus, Pseudosphinx…) en disque (Proserpinus). Les taches en forme d’œil sur le thorax de ces chenilles sont fréquentes, et ont tendance à gagner l’abdomen.

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Exemples de Macroglossinae: de gauche à droite et de haut en bas, Daphnis hypothous crameri Eitschberger & Melichar, 2010, Laos, Phu Phan; Acosmeryx naga naga (Moore, [1858]), Laos, Phu Phan; Cautethia yucatana Clark, 1919, Guatemala, Baja Verapaz; Xylophanes josephinae Clark, 1920, Guatemala, Baja Verapaz; Eumorpha elisa (Smyth, 1901) Mexique, Sonora. © Jean Haxaire

On les divise en trois tribus:

Les Dilophonotini, tribu essentiellement néotropicale, renfermant des genres extraordinairement diversifiés. La famille de plante-hôte la plus rencontrée est celle des Rubiaceae, mais on trouve très souvent des Apocynaceae, Euphorbiaceae, Melastomaceae, Vitaceae.

Les Philampelini, tribu representée dans le nouveau monde et à Hawaii, renfermant deux genres (Eumorpha et Tinostoma). Ce sont presque tous des consommateurs de Vitaceae, parfois Onagraceae et Actinidiaceae. Leurs chenilles perdent la corne abdominale au dernier stade, où elle est remplacée par une structure en bouton (genre Eumorpha)

Les Macroglossini, groupe immense et un peu « fourre-tout » Leur chenilles ont en général des taches ocellées (faux-yeux) sur le thorax. Cette tribu renferme les genres les plus élégants de la famille, les Xylophanes, Cechenena, Theretra et Hippotion (sous-tribu des Chaerocampina).

Les Macroglossini de la sous-tribu des Chaerocampina ont tous les palpes labiaux et les pilifères modifiés en organes acoustiques ultrasoniques.

Les chenilles des Macroglossini consomment le plus souvent des plantes basses appartenant à un nombre considérable de familles. Les Rubiaceae, Onagraceae, Apocynaceae, Euphorbiaceae, Vitaceae, Nyctaginaceae, Actinidiaceae et Araceae semblent les plus fréquemment rencontrées.

Merci à Joël Minet pour la relecture de ce texte.

*Nous présentons ici la classification traditionnellement admise de la famille, sachant que les dernières analyses moléculaires (Kawahara & al. 2009;  Kitching (The Sphingidae Taxonomic Inventory (en ligne)) bouleversent fortement cela, avec notamment une quatrième sous famille, les Langiinae Tutt, 1904 pour l’atypique Langia zenzeroides (photo ci-dessus). L’organisation des tribus est également remaniée. Nous admettons tous ces changements mais le but de ce site n’est pas de s’attaquer aux classifications de niveau supra-générique. De plus, les trois sous-familles ci-dessous sont véritablement instinctives, et ont encore de beaux jours devant-elles.