Depuis une dizaine d’années, la collection est un sujet tabou. Le sujet devient même passionné et ça n’est jamais bon, entre partisan de la collection ou du « tout photographique ». Je suis un fervent défenseur de la collection, à la condition bien entendu qu’elle soit le point de départ d’une étude scientifique. Si la collection est le but en soi, c’est une collection de timbres, et son intérêt est plus discutable.
Plus directement, je dirais que je n’ai jamais rencontré un systématicien qui n’élabore pas de collection de référence. La collection est un élément de base aussi important que la bibliographie.
On rétorquera que la photographie peut se substituer à la collection, c’est totalement faux. Combien de fois m’a-t-on demandé de déterminer un Sphingidae sur cliché, et j’ai été dans l’obligation de répondre que c’était impossible. Il est des insectes qui ne posent aucun problème, mais si on commence à appréhender des genres un peu délicats (Manduca, Xylophanes, Ambulyx,…), la détermination demande un examen plus attentif du verso, des pattes, des antennes, et le plus souvent des génitalia (armatures génitales du mâle ou de la femelle).
Les exceptionnelles collections du Mac Guire Center, Gainesville, USA, Florida © Jean Haxaire
Qui plus est, comment décrire sans spécimen? Le travail de description repose sur la désignation d’un holotype, qui servira de référence. Il sera déposé dans un grand Musée, et restera incontournable pour tous les travaux ultérieurs. Faire de la systématique sans consultation des types est un travail incomplet, imprécis, non rigoureux. Je sais que quelques espèces ont été décrites sur photos, mais je suis totalement opposé à cette pratique. La visite des grands Musées, la localisation et l’examen des types, leur photographie sont des étapes fastidieuses mais inévitables. Toujours revenir au type devrait être la devise du systématicien.
Deux exemplaires typiques: Holotype femelle d’Isognathus menechus (Boisduval, [1875]) et holotype mâle de Macropoliana afarorum Rougeot, 1975 © Jean Haxaire. A noter, le très bon état de l’insecte de Boisduval pourtant collecté il y a plus de 140 années.
Depuis l’explosion de la taxinomie moléculaire, l’ADN est devenu outil de détermination. 6000 échantillons ont été prélevés sur ma collection de Sphingidae du Monde, servant de base à l’élaboration d’une base de données renfermant les séquences de plus de 90% de la faune mondiale. Sans collection, pas de spécimen de référence, pas de prélèvement possible, donc pas de base de données.
Enfin, et c’est peut être le plus important, la collection est un instantané de l’état d’un écosystème. Les entomologistes sont souvent les premiers à signaler la raréfaction d’une espèce où sa possible disparition. Lorsque l’on consulte les anciennes collections, on est parfois frappé de voir combien une espèce que l’on ne rencontre jamais était fréquente. La collection est donc un excellent thermomètre.
Si l’on excepte certaines espèces de Rhopalocères très localisées (Parnassius, Papilio…), jamais le collectionneur, même le plus acharné, n’a mis en péril une population de papillons. Le prélèvement en chasse de nuit est faible (contrairement à une idée répandue, les lampes n’attirent pas très loin), et la majorité des exemplaires attirés sont des mâles. La valeur écologique d’un mâle étant nulle (une femelle sera toujours fécondée, puisqu’un seul mâle peut féconder plusieurs femelles), le prélèvement de quelques mâles ne peut absolument pas changer la densité d’une population à la génération suivante.
L’étalage est un exercice fastidieux, mais important au retour des missions de prospection © Jean Haxaire
Dans la mesure où l’analyse moléculaire est désormais une opération classique, il est important de conserver les spécimens (juste après collecte) dans des conditions strictes (bonne sécheresse, pas de vapeur d’ammoniac, pas de produit chimique qui dénaturent l’ADN). Après l’étalage, le séchage doit être rapide mais surtout pas forcé (en four) comme certains le pratiquent, car cela détruit irrémédiablement le génome.
On n’insistera jamais assez sur l’importance de l’étiquetage. Sous un exemplaire sérieusement préparé, on notera au minimum la date, la localité (avec coordonnées GPS), le récolteur,les conditions de capture (piège d’interception, chasse UV, battage, filet..). Si l’insecte était sur une plante, cette plante sera notée (si la chose est possible).
Séance de travail au Mac Guire Center, Floride. A droite, le type de Xylophanes cthulhu Haxaire & Vaglia, 2008 montrant une étiquette normalement renseignée © Jean Haxaire
Une étiquette avec le nom de l’insecte est finalement facultative, on retrouvera toujours cette information. Par contre, une localité imprécise ou erronée sera un véritable obstacle à une exploitation sérieuse de l’échantillon. Après, que l’étalage soit parfait ou pas est question de gestion de collection. J’ai déjà consulté (et je consulte de plus en plus) des collections où les insectes ne sont même pas étalés, juste piqués, mais avec un étiquetage parfait. C’est le plus important.